La ville à hauteur d’enfants


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La ville à hauteur d’enfants a été le titre du congrès du RFVE qui s’est tenu à Lille le 13 décembre 2017 (1). Cette rencontre a été ouverte par le géographe Michel Lussault qui soulignait qu’il est urgent d’élaborer une « stratégie de rupture » pour repenser la ville du point de vue de l’enfant et non plus du point de vue des normes urbanistiques. Il propose de partir de la notion d’expérience (qui est spatiale, biographique, sociale et temporelle) des enfants.

« Les enfants nous montrent une civilité de contact » déclare Michel Lussault, en rupture avec l’anonymat prévalant dans les villes. Cela implique de changer son regard d’adulte sur les enfants. (2)

Depuis cette date l’expression a été reprise en particulier à l’occasion des élections municipales de 2020 par la nomination à Lille de Mme Charlotte Brun, adjointe au Maire en charge de la ville éducatrice, et de « la ville à hauteur d’enfant » ou à Rennes par la délégation de Mme Lucile Koch conseillère municipale à « la ville à taille d’enfant.»

A partir de ces nominations emblématiques cette notion a surtout désigné, dans plusieurs villes, une action municipale permettant aux enfants d’une part d’agir et de donner leur avis sur des actions ou projets menés par leur ville mais aussi, d’autre part, de favoriser un cadre urbain apaisé favorisant l’autonomie et une plus grande sécurité des enfants dans leurs déplacements.
C’est cet aspect de la « Ville à hauteur d’enfants » qui sera développé dans cette fiche.

Le contenu des actions menées doivent beaucoup au livre de Francesco Tonucci « La ville des enfants Pour une (r)évolution urbaine » qui aborde le travail de la ville de Faro en Italie et décline les différents éléments constitutifs d’une ville qui reconnait le rôle et la place les enfants.

4 axes peuvent être évoqués en ce qui concerne la place de l’enfant en ville :
• Une démarche de concertation fondée sur la confiance
• Un changement de regard
• Une réglementation pour apaiser la ville
• Une politique d’aménagement urbain en faveur de quartiers à vivre

Une démarche de concertation fondée sur la confiance

Longtemps réduite à des espaces spécifiques (aires de jeux, espaces de glisse, murs de graffiti…) emblématiques des lieux de leur assignation dans la ville la participation des enfants et des jeunes s’est élargie à la conception ou à la modification d’espaces publics variés.

Ainsi après plus d’un an de concertation entre la ville et ses partenaires mais aussi avec la réalisation d’un séminaire enfants, la ville de Lille a adopté en 2022 son nouveau Projet Educatif Global (3) avec une forte ouverture sur la ville à hauteur d’enfants qui se traduit par une ambition 3 « le pouvoir d’agir des enfants ». C’est à dire de considérer l’enfant comme un citoyen et de l’associer à toutes les politiques publiques menées dans la ville comme l’aménagement du territoire, la participation, l’accompagnement aux projets…

Une des mesures de cette ambition 3 a été également de mettre en place, avec une coanimation de Charlotte Brun et de Clément Rivière, un laboratoire « Ville à hauteur d’enfants ». Celui-ci a élaboré une charte après une dizaine de rencontre et une large consultation des enfants , plus de 1000 enfants pour aboutir sur une charte compréhensible pour un enfant de 9 ans.

Cette démarche de charte a également été celle de la ville de Strasbourg (4)

A Nantes Métropole une enquête a été réalisée en 2023 (5) auprès des enfants de 6 à 13 ans dans le cadre du Grand Débat « La fabrique de nos villes ». Il s’agissait de leur expliquer comment se fabriquent et évoluent les villes, de se questionner sur la Ville du futur (dans laquelle ils et elles ne seront plus enfants, mais dans laquelle d’autres enfances pourront s’épanouir), se projeter sur des déplacements en toute liberté, en sécurité, en contact avec les autres et avec le Vivant. L’enjeu était de faire un ou plusieurs pas de côté pour recueillir leur(s) perception(s) des villes actuelles et stimuler une vision prospective de la ville de demain.

La méthodologie adoptée a permis de s’appuyer sur 3 ateliers répliqués dans les 3 structures (avec les mêmes questionnements, mêmes supports) pour permettre une analyse comparative.

Changer de regard

« Pliez les genoux, accroupissez-vous, avancez sur le trottoir, puis tentez de traverser la rue. Vous voyez la voiture foncer sur vous, elle est terrifiante, et là, à la taille d’un enfant, vous mesurez enfin la violence ordinaire qu’elle provoque. » Thierry Paquot.

La circulation est conçue par et pour les adultes. Leur ouïe et leur regard sont sollicités par les flux motorisés et souvent ils ne prennent pas en compte avec suffisamment d’attention les personnes vulnérables dont les enfants. Il convient donc que les automobilistes soient sensibilisés aux capacités spécifiques des enfants pour mieux assurer leur sécurité dans la rue en changeant leurs points de vue et leurs pratiques de conduite en particulier en ce qui concerne leur vitesse en ville. Par ailleurs il est important d’être conscient des besoins des enfants dans un espace public qui se réduit de plus en plus et de les associer à la réflexion sur l’aménagement de la ville. Changer le regard des adultes est le préalable à une ville sûre et accueillante pour les enfants.

Comme le soulignait à juste titre dans les années 1980 la Ligue contre la violence routière l’enfant « n’est pas un adulte en miniature ». Jusqu’à 10-12 ans un enfant est pratiquement incapable de de se débrouiller dans la circulation : il n’a ni le sens du danger, ni les réflexes ni les capacités sensorielles, ni les facultés de raisonnement d’un adulte. Les enfants n’ont pas la même perception de la rue que les adultes du fait de leur taille, du développement de leur sens mais aussi de leurs préoccupations et de leurs besoins. Leur champ de vision est réduit du fait de leur petite taille, ils ont du mal à déterminer la provenance d’un son et ne sont pas conscients des distances nécessaires aux automobilistes pour stopper leur véhicule.

La connaissance de ces données nécessaire pour tous les adultes, peut se révéler également fort utile pour ceux qui ont la responsabilité d’aménager la ville afin que les capacités et les besoins des enfants soient pris en considération à différents titres ce que soulignent les initiatives menées à Bâle et à Marseille. Changer de regard c’est en effet aussi considérer que les enfants interagissent avec l’environnement urbain et contribuent avec leurs compétences et leurs capacités spécifiques à façonner l’espace public et qu’il convient également de tenir compte de leurs besoins et de les associer pleinement à la réflexion sur l’aménagement de la ville.

Une réglementation pour apaiser la ville

Depuis 30 ans s’est développée en Europe une politique d’apaisement de la circulation qui comprend un ensemble de mesures réglementaires et techniques. Elle a pour objectif de diminuer la vitesse des automobiles, d’organiser un meilleur partage de l’espace public favorisant les modes de déplacement non motorisés et de réduire le nombre des automobiles en ville afin, en modifiant le comportement des conducteurs, de préserver la sécurité des autres usagers de l’espace public et de favoriser l’environnement et la fonction conviviale des quartiers et de la rue. La rue en effet n’est pas la route et il convient de sécuriser et de reconquérir l’espace public qui est, pour les enfants, un espace vital essentiel pour leur développement personnel.

En France en ce qui concerne la vitesse en milieu urbain la réglementation a intégré en novembre 1990 la Zone 30 qui est un périmètre urbain dans lequel :
  • la vitesse maximale autorisée est de 30 km/h pour tous les véhicules ;
  • toutes les chaussées sont à double sens pour les cyclistes (sauf dispositions différentes prises par le maire).

Le piéton demeure contraint au respect des règles générales du Code de la route.(6) Cette mesure qui pouvait concerner un ou plusieurs secteurs d’une agglomération a été élargie par la loi du 18 août 2015 qui prévoit la possibilité pour les maires « de réduire, sur tout ou partie des voies de l’agglomération ouvertes à la circulation publique, la vitesse de circulation en dessous des limites prévues par le code de la route. » Concrètement ce texte a permis d’accélérer le développement du mouvement des villes à 30km/h qui désormais concerne de nombreuses villes et villages et devrait être la première décision à prendre pour créer une ville à hauteur d’enfants(7).

D’autres mesures ont été mises en place pour garantir un meilleur partage de l’espace public en faveur des cyclistes et des piétons. Sans faire de bruit, le décret du 30 juillet 2008 a introduit une petite révolution dans nos villes. Elle repose sur trois mesures. D’une part, l’édiction d’un principe général de prudence −le respect du plus faible par le plus fort− qui se traduit pour les piétons et les cyclistes par plus de sécurité et de confort. D’autre part, la création des « Zones de rencontre », un concept situé entre l’aire piétonne et la zone 30, qui renvoie à une nouvelle notion de l’espace urbain destinée à favoriser la convivialité de certains lieux. Enfin, l’instauration des doubles sens cyclables dans les zones 30 et les zones de rencontre. Ces premiers textes réglementaires ont été désignés comme étant le « Code de la rue dans le code de la route » et ont été complétés par d’autres décrets afin de garantir la sécurité des personnes vulnérables et faciliter le déplacement des cyclistes.(8) Enfin des dispositifs peuvent être adoptés afin de réduire la circulation en ville.(9)
La réduction du nombre de véhicules motorisés peut être obtenue à l’aide de plusieurs vecteurs qui peuvent se combiner :
Une politique de stationnement reposant sur une limitation de l’offre, des durées de stationnement et l’instauration d’une tarification est un moyen efficace car le stationnement est un déterminant principal pour l’usage des moyens de déplacement motorisés individuels.

Elle peut aussi contribuer à redonner de l’espace aux piétons et aux cyclistes
Rue de l’avenir Stationnement et espace public

Une régulation des flux par l’instauration de zones dont l’entrée est soumise à diverses modalités : Zone à trafic limité (ZTL) à Nantes, à Grenoble à Rennes à Paris

Un plan de circulation qui dissuade le trafic de transit sur l’ensemble de la ville (Groningen) sur le centre-ville (La Rochelle, Strasbourg, Lille), une fraction de quartiers (Barcelone et ses Supermanzanas), sur un quartier (Zone 30km/h, Zone de rencontre Metz, Besançon). C’est dans le trafic de transit que se trouvent les usagers « pressés » dont la vitesse sera difficilement maîtrisable. Par ailleurs il arrive que le trop plein de trafic anéantisse l’efficacité des aménagements – par exemple zone 30 ou 20 – dans les quartiers.

Une politique d’aménagement urbain en faveur de quartiers à vivre

La prédominance de l’automobile dans le cadre de la fonction « circulation » de la rue doit céder la place à une rue qui, en tant que bien commun, doit être conçue, aménagée, organisée, entretenue pour mieux accueillir les usages multiples de promenade, flânerie, rencontre, repos, jeux qui concernent une population nombreuse non motorisée souvent vulnérable et/ou à mobilité réduite.
Désormais de multiples mouvements informels ou associatifs, s’engagent pour lutter contre la pollution, pour agir contre des ilots de chaleur, pour une sécurité des déplacements à pied ou à vélo dans le quartier et pour se réapproprier au quotidien l’espace public qu’il s’agisse de places requalifiées, de rues vertes, de rues aux enfants, de rues scolaires…. Parallèlement de plus en plus de villes s’engagent dans une politique au niveau du quartier pour concrétiser une démarche transversale et pluridisciplinaire dans laquelle l’apaisement de la circulation favorisant le développement de la pratique du vélo et de la marche, est un des éléments d’une approche plus globale de ménagement d’un lieu de vie qui doit désormais tenir compte, de manière impérative, de problématiques écologiques.
Enfin de multiples initiatives citoyennes viennent désormais revendiquer une vraie place pour les enfants dans l’espace public et prennent la forme de « rues scolaires » de « rues aux enfants » de « terrains d’aventure » de « classes dehors » et contribuent à recréer des quartiers à vivre.(10)

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NOTES

(1) Réseau des villes éducatrices Rencontre du 13 décembre 2017c

(2) Pour aller plus loin sur l’importance de la notion d’expérience :
Conférence de Michel Lussault au congrès de l’association française des villes éducatrices à Lille en 2017 « La ville à hauteur d’enfant », à partir de 48min 49sec citant Jean Marie Schaeffer
Également l’ intervention de Thierry Paquot lors de cette conférence

(3) Le projet éducatif global de Lille 2022-2026

(4) Ville de Strasbourg Charte ville à hauteur d'enfant | Strasbourg.eu

(5) Une enquête de Nantes Métropole dans le cadre du Grand Débat « La fabrique de nos villes » 2023

(6) La zone 30 CEREMA

(7) Site sur la ville - pour des ville et des villages à 30km/h Argumentaire Rue de l’Avenir

(8) Le code de la rue et ses déclinaisons Rue de l’Avenir - la rue pour tous Guide pour un espace public apaisé ADAV 2022

(9) La réduction de l’excès automobile Argumentaire Rue de l’Avenir 2023

(10) Une démarche de quartier pour apaiser la ville Argumentaire Rue de l’Avenir 2023

REFERENCES

Introduction

Une rencontre à Rouen le 27 mars 2024
  • « En Normandie Place aux enfants dans l’espace public ! » Rue de l’Avenir Agence Normande pour la biodiversité et le développement durable

Un livret de synthèse
Un article de Clément Rivière
Le livre de Francesco Tonucci La ville des enfants pour une (r)évolution urbaine Nouvelle édition 2019

Pour un espace public conçu pour et avec les enfants Journée Rue de l’Avenir Suisse 27 septembre 2019
Une démarche de concertation et/ou de participation fondée sur la confiance

Chartes « Villes à hauteur d’enfants »
Ville de Lille Juin 2024
Ville de Strasbourg - Charte ville à hauteur d'enfant

Pour une ville sûre et accueillante pour les enfants

Fiche N° 8 Faciliter la participation des enfants et des jeunes à l’aménagement de la ville
https://www.ruedelavenir.com/wpcontent/uploads/2020/06/VilleEnfantFiche8Participation.pdf

Supports pédagogiques
« En pratique, favoriser la participation des enfants et des jeunes consiste, pour les adultes, à leur donner l’information adaptée à leur âge, à les écouter, à les associer aux prises de décisions et à les consulter sur des sujets qui les concernent directement. Elle doit être voulue par les jeunes eux-mêmes et s’exercer sur des bases co-définies avec les adultes, que ce soit à la maison, à l’école, dans le quartier ou dans la commune. »

https://www.unicef.fr/dossier/participation-des-enfants-et-des-jeunes

L’implication des enfants peut, au-delà de cette définition, être d’initier un projet, de le piloter
ou de décider conjointement avec les adultes. Une échelle des degrés de la participation a été
publiée par le Conseil de l’Europe :
http://www.eycb.coe.int/compasito/fr/chapter_5/10.html

Faciliter la participation des enfants et des jeunes à l’aménagement de la ville
https://www.ruedelavenir.com/publications/fiche-8-la-participation-des-enfants-et-desjeunes/

Changer de regard

Pour une ville sûre et accueillante pour les enfants Fiche 3 Changer de regard
https://www.ruedelavenir.com/wpcontent/uploads/2019/07/VilleEnfantFiche3ChangerRegard.pdf
Un article de Sylvain Wagnon Avril 2024 :
https://www.mediacites.fr/tribune/national/2024/04/15/comment-repenser-la-ville-ahauteur-denfants/
Supports pédagogiques
Une toise « Les yeux à 1,20m »
Sur la base d’une analyse-modèle du quartier de St. Johann, quartier fréquenté chaque jour par
quelques 500 enfants, le Service du développement du canton et de la ville de Bâle a établi un
instrument baptisé « Hauteur d’yeux : 1.20 m » en collaboration avec divers autres services.
Il s’agit d’une toise pour inciter les adultes à regarder à travers deux trous à 1,20m de hauteur.
Cet instrument est destiné à promouvoir un développement urbain adapté aux enfants.
https://www.cerema.fr/fr/actualites/yeux-120m-amenagement-urbain-adapte-auxenfants
Ville aux enfants …ville pour tous Plan M Marseille 2018
Le dossier des Ateliers sur Marseille

Une réglementation pour apaiser la ville

Thématique ville 30km/h Rue de l’Avenir
Supports pédagogiques
« Le partage de l’espace public et le code de la rue » Laurence Picado – Rue de l’avenir
Le partage de l’espace public et le code de la rue Quizz
Questionnaire Zone de rencontre
Quizz zone de rencontre
Questionnaire Zone 30
Code de la rue simplifié Un diaporama pour présenter le code de la rue aux enfants
Une politique d’aménagement urbain en faveur de quartiers à vivre
Le webinaire Abords et chemins de l’école : vers l’apaisement du quartier ?
7 décembre 2023, Rue de l’avenir & CEREMA
Bien vivre dans son quartier Fiche argumentaire Rue de l’Avenir 2023
L’aménagement des rues en fonction des enfants » par la « Global Designing Cities Initiatives
« Initiative mondiale pour l’urbanisme » 2022
Visite de terrain à Lille et à Gand, page web Mai 2022
Paris Programme embellir votre quartier
https://www.paris.fr/pages/embellir-votre-quartier-une-nouvelle-methode-pour-transformerparis-16364
Fiche N°9 du Dossier « Pour une ville sûre et accueillante pour les enfants »
Reconquérir de l’espace pour le jeu
Reconquérir de l’espace pour le jeu Références
CF également : Sur les rues scolaires : https://www.ruedelavenir.com/campagnes/les-ruesscolaires-on-a-tous-un-role-a-jouer/

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