La ville une expérience personnelle



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Pour Louis Kahn, l’enfant, de manière d’abord intuitive puis de plus en plus consciente, engage une relation active avec son environnement. « Voulant voir, toucher, sentir, entendre, faire résonner, il entretient une relation sensorielle intense avec l’espace et ses configurations, à la différence de l’adulte qui, assuré de son jugement, pense pouvoir se satisfaire d’une approche d’ordre principalement pratique et visuel. Pour l’enfant, l’espace constitue un partenaire dans une démarche et un processus d’apprentissage qui lui sont vitaux, un partenaire clef pour la découverte de ses sens et de son corps, et ainsi des formes, des dimensions, des couleurs, des sons, des matières, des matériaux, de l’herbe, de l’eau, du vent, de la lumière ou encore de l’ombre. » (1)

La relation entre l’enfant et la ville s’exercera dans la continuité du rapport que l’enfant entretient dès sa naissance avec l’espace dans le monde dans lequel il est introduit.

« Au commencement était l’espace.
Bien des conditions en effet président à la création, à l’émergence de la vie et à la construction du sujet. Parmi elles, un préalable : l’espace. Mais pas l’espace en tant que donnée figée et immuable, bien au contraire : l’espace en tant qu’élément en co-construction et en interactions permanentes avec le sujet.
Car l’espace n’est pas donné d’emblée, il se conquiert. L’enfant, l’adolescent le découvrent, l’explorent, l’imaginent, le symbolisent, y jouent et en jouent. L’espace réel est infini et mouvementé, les caprices de la nature, fleuves, montagnes, océans, forêts, le colorent en même temps qu’ils lui confèrent sa grandeur et l’animent, comme l’aménagent et l’organisent les constructions des hommes : la chambre, la maison, le quartier, la ville, autant d’espaces construits par les adultes, à investir. De l’espace partagé par la mère et le bébé à celui qu’investit ou que fantasme l’adolescent, de l’espace intime de l’appartement ou de la maison familiale à l’espace collectif de la crèche ou de l’école, l’enfant au cours de son développement psychologique affectif et cognitif franchit toute une série d’étapes pour se construire une spatialité, des représentations de l’espace extérieur en lien avec l’espace corporel et l’espace psychique intérieur.
» (2)

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La ville comme terrain d’exercice de l’enfant lui permettra de poursuivre par lui-même et d’approfondir cette découverte de l’espace et du monde et de reconquérir petit à petit l’espace urbain duquel il a été exclu complètement ou contraint dans des espaces dédiés compte-tenu de la place démesurée que nous avons donné/laissé à la voiture et aux transports motorisés (électrique inclus).

Afin de mieux comprendre l’importance de la notion d’expérience (3), il nous faut partir des besoins de l’enfant. Partir des besoins de l’enfant et lui donner les moyens d’appréhender la ville conduit en effet l’enfant à ne plus voir la ville et l’espace urbain comme un obstacle.
Les quatre besoins suivants et les questionnements attenants sont une base permettant d’établir un rapide diagnostic de l’espace urbain dans lequel nous vivons et de guider, d’orienter de futurs expériences et projets. (3 bis)

  • L’enfant et l’adolescent a un besoin de socialisation. Demandons-nous si les espaces publics vécus et traversés sont des lieux de vie ou des lieux de passage. Ces espaces publics permettent-ils de faire simplement une pause, de jouer, de faire des rencontres, de discuter. L’enfant et l’adolescent peut-il expérimenter des rencontres diverses propices à son ouverture au monde qui l’entoure, à sa pluralité ?

  • L’enfant et l’adolescent a un besoin de repère dans son espace de vie quotidienne. Interrogeons-nous sur la présence de repères visuels et physiques dans l’espace urbains. Ceuxci participent à l’apprentissage géographique de la ville.

  • L’enfant et l’adolescent a besoin de se déplacer librement. Questionnons-nous sur la place dédiée aux enfants piétons et plus largement aux usagers des modes actifs de mobilité. Nous constaterons très rapidement que la mobilité motorisée est un obstacle parfois insurpassable à une mobilité autonome sereine des enfants et adolescents.

  • Enfin, l’enfant et l’adolescent a besoin de se réapproprier les espaces urbains. Nous constatons, et les expériences des Rues aux enfants Rues pour tous nous le montre, que lorsque l’espace urbain lui permet, l’enfant se réapproprie directement et automatiquement l’espace libre de la circulation motorisée. En partant de ce besoin de réappropriation, il faudra se demander si ces espaces urbains sont assez vastes pour accueillir les jeux et s’ils sont assez divers pour être source de curiosités, d’inventions, de contournements des usages

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Photos A.Bennahmias

Cet apprentissage fondé sur l’expérience personnelle se fera en priorité par la marche et permettra, en particulier, de placer les 5 sens, trop peu exploités, au cœur de l’expérience de la ville. Il nécessite que les espaces publics de nos villes soient conçus pour que les besoins énoncés ci-dessus soient pris en compte et que des déplacements sûrs assurent aux enfants une autonomie indispensable pour faire dans la ville au quotidien des découvertes sur les autres, sur son environnement et sur lui-même.

Élaborer des projets transdisciplinaires, mettre les 5 sens au cœur de ces projets afin de développer une approche sensible de l’espace urbain, placer la marche et l’observation au centre de la découverte de son espace vécu, considérer les besoins de l’enfant et de l’adolescent comme central, tout cela permet :
  • d’apprendre dans la ville : la ville comme un environnement, un contexte,
  • d’apprendre de la ville : la ville est un agent, un émetteur d’éducation,
  • d’apprendre la ville : la ville objet de connaissance et contenu d’apprentissage,
comme l’indiquait en 1990 Jaume Trilla Bernet à Barcelone à l’occasion du congrès fondateur du Réseau des villes éducatrices (4).

Finalement, considérer les besoins de l’enfant dans leurs globalités a aussi une conséquence bénéfique sur les espaces urbains. Effectivement, encourager la relation entre la ville et l’enfant peut aussi permettre de modifier la ville elle-même.

L’expérience menée dans la ville de Fano, depuis 1991, racontée par Francesco Tonucci, pédagogue italien, dans son ouvrage en 1996, vise « à valoriser la ville par l’action des enfants. Ceux-ci connaissent parfaitement leur ville et suggèrent des améliorations qui bénéficient à tous les habitants : les voitures libèrent le centre (comme à Pontevedra en Espagne), roulent moins vite ; les piétons sont partout prioritaires ; les espaces publics sont plus larges et facilitent le jeu, la végétalisation améliore la santé du sol comme l’air de la ville, le temps libre adopte les rythmes des enfants, le Conseil municipal des jeunes exerce un réel pouvoir de décision, etc. Il est donc possible d’inscrire dans le programme scolaire, l’étude de la ville et plus généralement du milieu de vie des enfants, qui de fait, transversalise toutes les connaissances et écologise les esprits... » (5)

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Références

Baranes Dans Enfances & Psy 2006/4 (no 33), pages 6 à 7
  • (3) - Pour aller plus loin sur l’importance de la notion d’expérience : -Conférence de Michel Lussault au congrès de l’association française des villes éducatrices à Lille en 2017 « La ville à hauteur d’enfant » à partir de 48min 49sec citant Jean-Marie Schaeffer
  • (3bis) - Plan M Antoine Bennahmias ville aux enfants ville pour tous(wordpress.com)
  • (4) - Ajuntament de Barcelona, La ville éducatrice, Introduction Jaume Trilla Bernet, 1990. Et Texte autour des villes éducatrices Congrès de Barcelone 1990. Les villes éducatrices: une réponse au lien entre territoire et éducation ?
Safa Bejaoui, Aminata Cissé, Flora Gilardi, Camille Gicquelet, Rhania Labyad, Charlotte Libert,
Leslie Monroy, Zineb Traoré, Dans Spécificités 2010/1 (N° 3), pages 73 à 90
  • (5) Francesco Tonuccci, La ville des enfants Pour une (r)évolution urbaine. Editions Parenthèses 2019
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Annexes

L’espace la ville et les programmes scolaires

Supports pédagogiques

L’enfant et la rue Cette fiche a pour objet de décrire les spécificités des capacités des enfants et leurs
conséquences lors de leurs déplacements dans la rue. Son but est de sensibiliser les parents,
les éducateurs, mais aussi les conducteurs de véhicules et les aménageurs à ces données
essentielles...
La ville vue à 1m 20 de hauteur (2019) La toise « Les yeux à hauteur d’enfant : 1,20m réalisée à l’initiative du service enfance jeunesse du canton de Bâle » a été traduite en français grâce à un groupement d’institutions et
d’associations européennes dont Rue de l’avenir France.
Reconquérir de l’espace pour le jeu Fiche N° 9
Reconquérir de l’espace pour le jeu références
Ville aux enfants …ville pour tous Plan M Marseille 2016
À quoi peut ressembler une ville pour les enfants ? Comment aménager la ville pour les
enfants ? Comment construire la ville avec les enfants ? Voici les questions auxquelles ce
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